Sculpter un corps humain est une chose très difficile. La moindre erreur se voit. Une forme erronée, une erreur de proportion, le moindre décalage dans le positionnement d'un détail, tout semble sauter aux yeux avec une facilité déconcertante. Il faut dire que depuis notre plus tendre enfance nous ne cessons d'observer nos semblables. Nous avons de fait en tête des milliers de références et, sans toujours en avoir conscience, nous ne cessons de comparer les "représentation du réel" au "réel" lui-même pour détecter d'éventuelles erreurs. Si cela est vrai pour toutes les représentations, cela est encore plus visible pour un sujet aussi complexe que le corps humain. Un sujet ô combien porteur d'émotion à qui la moindre petite erreur de représentation peut faire perdre toute sa magie.
Bref, sculpter un corps humain est un réel challenge. Et ce, que l'on cherche à respecter un certain académisme ou que l'on s'autorise un plus ou moins grand niveau d'abstraction (l'épuration des formes ne donne pas plus le droit à l'erreur ... la limitation à certains traits caractéristiques de l'objet à représenter semble même imposer un plus grand souci de perfection dans le rendu de ces derniers).
Pour la sculpture présentée ci-dessous, outre l'habituel (voir le second article de la page 4) et toujours important travail de construction, une longue recherche graphique portant sur les proportions des différentes parties du corps a été nécessaire.
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Pour rendre au mieux l'idée que j'avais au départ (le thème était "insolente beauté des jeunes corps"), j'ai tout d'abord travaillé sur un modèle à 7 têtes 1/2. Les proportions ne me satisfaisant pas, je suis passé à un modèle à 7 têtes. Toujours pas satisfait, j'ai finalement opté pour un modèle hybride : un modèle à 7 têtes porté à 7 têtes 1/2 de haut par l'allongement de la partie inférieure des jambes obtenu, non par une dysmorphie de l'ensemble tibia-péroné + cheville + pied, mais par une pose sur la pointe des pieds correspondant d'ailleurs très bien au thème et à la posture ayant été choisie (inspirée d'une figure héraldique (lion en posture traditionnelle mais avec la - rare - particularité d'un regard vers le côté, plus fier, plus frondeur)) pour exprimer ce dernier.
En comptant à partir du sommet du crâne (Cr) (et non des cheveux Ch), on retrouve bien le marqueur le plus visible, le genou, à 5 ... avec, toutefois, une stature de 7,5.
Plaisantes à l'œil (ce qui est normal dans la mesure où de tout temps la "beauté" a en grande partie été jugée à l'aune d'un certain pédomorphisme (persistance de traits juvéniles chez l'adulte - ici les principales caractéristiques du 7T dans du 7,5T)), il n'est pas étonnant de retrouver ces proportions sur la majorité des clichés de mode ...
ainsi qu'au cinéma ...
Notons au passage que la James Bond girl ci-dessus, Olga Kurylenko, est régulièrement citée comme un modèle de parfaites proportions.
Ceci étant, et bien que satisfaisant et répandu, on peut néanmoins se demander si ce modèle à 7-7,5 têtes reste suffisamment naturel (car, bien heureusement pour elle, une femme ne passe pas sa journée juchée sur des talons hauts ou en équilibre sur la pointe des pieds !). Une rapide recherche montre qu'en fait les canons traditionnels sont assez bien respectés. Le nombril et le sommet de l'entre-jambes sont bien positionnés, respectant ainsi les modèles de l'Homme de Vitruve de Vinci, des planches d'Agrippa ...
... ainsi que de bien d'autres études sur les proportions du corps humain.
On remarquera donc finalement qu'une "personne à 7 têtes" traduit très bien un aspect "normal". Si l'on trouve aussi, çà et là, bon nombre de constructions à 8 têtes, il semble que ces dernières soient plus théoriques ou pratiques (facilité de positionnement des différents éléments du corps par divisions en 2 successives des hauteurs) que naturelles. L'illustration anglaise présentée ci-dessous (datant du milieu du siècle dernier, période à laquelle cette sorte de dérive graphique a débuté) montre bien la tendance à "allonger les corps" - dont, en particulier, les jambes - dans le domaine de l'illustration ou, plus encore, dans celui de la mode.
Tropisme élongateur qui, s'il est flatteur en matière de présentation de vêtements, doit laisser sa place à des proportions plus naturelles lorsqu'il s'agit de donner vie et dynamisme à une figure comme sur les dessins de Kuntzel et Deygas utilisés dans la campagne publicitaire pour le parfum Guerlain "La petite robe noire".
Bref, un aspect "normal" à 7 têtes ayant été défini, il y a néanmoins eu passage à 7,5 T par pose sur la pointe des pieds et, de fait, apparition d'un aspect "longues jambes". Si de longues jambes sont attirantes (principalement du fait qu'inconsciemment nous les associons à des signes de santé et de fertilité (de la naissance à l'âge adulte, les jambes sont la partie du corps qui croît le plus, offrant ainsi un formidable marqueur de la qualité des gènes et des conditions de vie)), de trop longues jambes aboutissement par contre à un aspect disgracieux. A ce sujet, une étude donne les résultats suivants : en présentant à un échantillon de la population des silhouettes aux tailles de jambes moyennes (0) et plus courtes et plus longues de 5, 10 ou 15%, celles trouvées les plus séduisantes sont à +5% et, si l'on affine les résultats, aux alentours de +6,25% (ce qui porte la hauteur de l'entrejambe à 51 ou 52% de la hauteur totale du corps). Reportant ce résultat sur notre figure, on voit qu'elle correspond parfaitement à du +6,25%. L'ultime question pourrait alors être "pourquoi ne pas obtenir cette longueur de jambe à plat pied" ? Tout simplement car pour ne pas bouger la position du genou (à 5T), il faudrait faire croître uniquement la partie inférieure de la jambe, ce qui entrainerait une dysmorphie fortement visible. Ne reste dont que la pose sur la pointe des pieds. Ce qui, notons le, outre le fait de parfaitement correspondre au thème de base, correspond en fait assez bien aux silhouettes ayant été présentées lors du test utilisé en référence.
L'aspect "hauteur" traité, il m'a ensuite fallu me pencher sur la "largeur". Là, la chose a été plus simple : une petite construction d'une sorte d'échelle entre des modèles "plutôt maigres" (type publicités Victoria's Secret) et d'autres "plutôt potelés" (type publicités Dove) puis un petit morphing entre les deux a donné différentes silhouettes parmi lesquelles j'ai choisi celle qui me semblait la plus naturelle. Ma référence ayant été La Source d'Ingres dont le sujet est, notons le au passage, un parfait modèle à 7 têtes avec genou à 5 têtes, on ne s'étonnera pas que le curseur se situe un peu plus du côté "rond".
Cette partie de graphisme préparatoire terminée, il fut ensuite possible de passer à la partie sculpture. Avec donc, comme d'habitude, la sculpture en cire :
Puis la pièce de fonderie à sa sortie du moule :
Et, enfin, la sculpture une fois polie :
Pour rester dans le ton d'une taille assez brute ainsi que de la limitation du nombre de détails, un montage sur panneau de bois brut de forte épaisseur a été choisi.
On notera que ce montage "à plat" a l'avantage de bien resituer la sculpture dans sa technique de bas relief.
A titre indicatif, la sculpture fait 38cm, l'ensemble 46 cm.